« Messieurs, votre port d’arme n’est-il pas négligé ?«
Sur les événements de reconstitution auxquels nous participons ou bien encore en commentaires sous les photos que nous postons sur les réseaux sociaux, il nous est souvent fait la remarque suivante : « mais dîtes-moi, le port de votre arme à l’épaule là, pour des gardes du corps du roi, il paraît quand même bien négligé, non ?«
En fins connaisseurs des règles & usages militaires, les reconstitueurs militaires de l’Ancien Régime ou du premier Empire ajoutent souvent : « votre port d’arme est vraiment à revoir, il n’est pas réglementaire. » Selon les humeurs, certains ajoutent parfois, avec ou sans condescendance, un : « mais vous savez qu’il y avait des règlements pour ça ? Il faudrait s’y conformer. N’hésitez pas à venir nous voir sur notre campement, on vous montrera comment il faut faire ».
Enfin, quelques fins observateurs peuvent également ajouter cet autre commentaire : « le port de l’arme dans un salon, c’est vraiment comme ça que ça se faisait ? C’est un peu étrange quand même de vous voir en arme dans un château. »
Nous comprenons toutes ces remarques et commentaires. D’autant qu’en effet, nous avons fait le choix d’adopter un port non-réglementaire au regard des règles & usages dans l’armée de Sa Majesté Louis XV au milieu du XVIIIe siècle. Mais, c’est car il y a une explication au regard de sources historiques…
Les gardes du corps du roi
Tout d’abord, il est sans doute utile de rappeler quelques points relativement aux gardes appartenant aux compagnies des gardes du corps du roi :
- Les gardes du corps du roi, c’est l’élite de la Maison militaire du roi. Ils ont la préséance sur toutes les autres unités de cette Maison. Et cette Maison possède à son tour la préséance sur tout le reste de l’armée du roi. En d’autres termes, les compagnies des gardes du corps ont le premier rang sur tous les autres corps de l’armée du roi. On pourrait presque dire qu’ils ont une position dominante et qu’ils n’ont pas grand chose à prouver, encore moins aux autres militaires.
- Les gardes du corps du roi, on peut simplifier en disant qu’il s’agit avant tout de courtisans en uniforme. De par leur office, ils sont attachés à la cour du roi et la fréquente quotidiennement. Et cette cour, chaque garde la connaît bien. Car les gardes appartiennent au réseau curial. Les « civils » qu’ils y croisent, ils les connaissent, quand ce ne sont pas des membres de leur famille. Ils n’ont donc pas grand chose à leur devoir sur le plan militaire, même si certains occupent d’éminents postes.
- Parmi les gardes du corps, un détachement est continuellement chargé de demeurer près de la personne du roi, il s’agit du « guet » (certains gardes du corps peuvent également être envoyés réaliser le guet pour la reine, les princes et princesses de sang mais c’est un autre sujet). Dans le cadre du guet, le détachement de gardes accompagne en permanence le roi ; il faut comprendre que dans le cadre de cette mission, ils ne vont pas s’amuser à lui présenter continuellement les armes.
Ainsi, d’après l’état actuel de nos recherches, en dehors des grandes cérémonies royales et de la vie particulière qu’il y a dans la salle des gardes, aucun port particulier d’arme n’est de rigueur auprès du roi. Les gardes du corps qui composent le guet ont un port relativement « au naturel » (pour ne pas dire détendu) de leur arme, ce qui leur permet par ailleurs de se mêler plus facilement (et toute la journée…) au reste des courtisans qui fourmillent autour du roi.
Que disent les sources sur ce port ?
A ce jour, nous n’avons pas identifié de source textuelle, comme une instruction d’école du soldat propre aux gardes du corps, qui aurait pu nous en apprendre plus sur la façon de tenir l’arme dans le cadre du guet.
Ainsi, nous nous sommes reposés sur les sources iconographiques d’Ancien Régime, qui sont toutes unanimes sur la façon dont les gardes du corps du roi portaient leurs mousquetons (espèce de fusil, dont le canon est plus court que celui des fusils ordinaires & le calibre gros comme celui d’un mousquet).
D’après les iconographies d’époque, de Louis XIV à Louis XVI, dans le cadre de leur service à pied du guet, le port du mousqueton s’effectue le plus souvent en étant posé sur l’épaule gauche, au niveau de la bandoulière (large bande de cuir, qui passe de l’épaule gauche sous le bras droit, & qui sert aux Cavaliers pour porter leur mousqueton).
Plus rarement, l’épaule droite pouvait être utilisée ; possiblement pour alterner le poids de l’arme dans la journée. Et s’il y avait besoin d’écarter quelques courtisans, l’arme pouvait être saisie en main gauche, comme on le voit ci-après.
Suivant les iconographies, la main gauche du garde tient le mousqueton généralement par dessus la crosse.
Et le canon du fusil n’est jamais porté à l’horizontal sur cette épaule gauche. Le mousqueton est porté « au naturel », c’est-à-dire la crosse toujours portée plus basse que l’axe horizontal, de façon à ce que la sortie du canon soit surélevée de cet axe.
Même Jacques Antoine Delaistre, auteur de peintures servant au jeune Louis XV à reconnaître ses troupes, dont celles de la Maison militaire, représente les gardes dans cette position « au naturel », qui est donc bien la position ordinaire et réglementaire des gardes du corps :
Cette position est également suivie (et avec le mousqueton, notons-le bien) dans les salons lors des grandes cérémonies :
A la vue de toutes ces sources iconographiques, il nous semble légitime de dire que le port du mousqueton « au naturel » a été en vigueur au moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle (époque que nous reconstituons). C’est ce type de port que nous conserverons dans nos reconstitutions historiques dans le cadre du guet (en protection du souverain, en promenade ou dans ses demeures de passage).
Le retour d’expérience de l’histoire vivante
Nous avons donc éprouvé, durant nos reconstitutions historiques, plusieurs ports possibles de l’arme. Notre retour d’expérience, en matière d’histoire vivante, est sans appel : le port du mousqueton « au naturel » est celui qui nous semble effectivement le plus confortable, une journée durant de guet auprès de la famille royale.
Le fait de pouvoir de temps en temps changer d’épaule permet au garde de reposer son épaule.
Une attitude détendue ?
Oui, avec notre regard du XXIe siècle, l’attitude des gardes parait même parfois très détendue sur certains iconographies. La prochaine estampe le montre assez bien : le garde, qui est juste à proximité du roi, dans un moment solennel, se permet de s’appuyer contre une colonne (pour ne pas dire s’affaler), les pieds croisés.
A la fin du règne de Louis XIV, lors des promenades de ce roi, les gardes semblent même ne pas forcément porter leur mousqueton durant leur guet. Ils sont mêlés aux courtisans, avec qui ils discutent le plus librement du monde. Sur la peinture suivante, on voit même l’officier les mains dans les poches et des gardes interpellés une dame (il était connu que les dames de la cour aimaient discuter avec les gardes…).
Ainsi, cette attitude, qui nous paraît détendue, était-elle une réalité représentée par les artistes ? Ou était-ce plutôt une volonté des artistes, au fil du temps, de les représenter ainsi ? La réponse n’est pas connue, faute de sources supplémentaires.
Ceci étant dit, comme nous le disions plus haut, le garde du corps du roi reste avant tout un « courtisan en uniforme ». Il pouvait sans doute se permettre d’aller et venir sans trop de formalisme supplémentaire, en dehors du cadre des cérémonies formelles de la cour.
Des changement après le milieu du XVIIIe siècle ?
Qu’en est-il après le milieu du XVIIIe siècle, notamment après les premières publications d’instructions sur l’exercice des troupes, qui visent à uniformiser les pratiques en matière d’ordre serré au sein de l’Armée du roi l’école du soldat ? Malheureusement, les sources montrant le roi à côté de ses gardes ne sont pas légion durant les règnes des rois Louis XV et XVI. Toutefois, plusieurs estampes du sacre de Louis XVI continuent à nous montrer des gardes avec un port « au naturel » de l’arme et laissent à supposer que ce port reste en vigueur au sein du cérémonial de cour.
Nous connaissons actuellement deux iconographies présentant clairement une attitude différentes sur le port d’arme, mais elles relèvent selon nous de cas qui n’intéressent pas le cadre initialement considérée (à savoir le port de l’arme dans le cadre du guet mené au sein de la cour royale, dans les demeures ou jardins, en temps de paix).
La première connue est une peinture qui montre le roi Louis XV, avec en arrière plan un garde en sentinelle à l’entrée de sa tente de campement. Là, le port de l’arme est davantage réglementaire par rapport au reste de l’Armée.
Autre cas connu, celui de l’ouverture des États-Généraux en 1789. Les gardes emploient des fusils (qui ne sont plus des mousquetons) et les portent de façon réglementaire. Mais nous ne sommes plus ici dans le cadre de la cour et les compagnies des gardes du corps du roi ont alors nécessairement une pression pour s’aligner sur les pratiques du reste de l’Armée.
Les investigations continueront au cours de nos recherches. Peut-être que des points seront revus dans le futur. Mais au stade de nos recherches, notre port « au naturel » nous convient parfaitement dans le cadre curial dans lequel nous évoluons.